
Hubadviser a eu le privilège d’interviewer, Olivier Cohn, Directeur Général de Best Western France, une ETI forte croissance. Son parcours est atypique : il a d’abord occupé le poste de DSI, avant de devenir directeur des opérations, puis directeur général. Lorsqu’on lui a demandé ce qui avait permis cette ascension rare, il a répondu simplement : « En tant que DSI, j’ai eu un impact direct sur la génération de chiffre d’affaires, ce qui a attiré l’attention du directoire ».
Directeur Général de Best Western France
Cet exemple illustre parfaitement une évolution clé du rôle du DSI : pour asseoir sa position de Business Partner, il ne suffit plus de garantir la qualité du SI ou de piloter la productivité via la digitalisation. Il faut désormais contribuer concrètement au développement du business.
Depuis plus de 15 ans, j’accompagne des DSI et j’ai souvent constaté qu’ils coopèrent naturellement avec les directions manufacturing, supply chain ou RH. Mais les liens avec les directions Marketing et Ventes restent souvent plus fragiles. Ces dernières fonctionnent selon des logiques très différentes de celles de la DSI, ce qui freine parfois la collaboration.
Pourtant, c’est précisément sur ces fonctions que les DSI peuvent aujourd’hui renforcer leur position stratégique. Le no-code, l’IA et la data sont devenus essentiels pour le développement commercial. Et même si les outils semblent simples en apparence, ils nécessitent un socle technique que seules les équipes IT peuvent fournir.
La question est alors : quelle est la proposition de valeur de la DSI pour le marketing et les ventes ? Et comment éviter d’être désintermédié face à des outils de plus en plus accessibles ?
Pour y répondre, nous verrons d’abord les évolutions majeures auxquelles font face les directions Marketing et Commerciale, puis comment la DSI peut jouer un rôle déterminant dans leur transformation.
Constat : les équipes Marketing et Ventes doivent impérativement changer d'approche.
Aujourd’hui, les méthodes traditionnelles telles que le cold calling (appels de prospection) ne fonctionnent plus comme avant. Une enquête publiée par Forbes révèle que le taux de conversion des appels à froid est généralement inférieur à 2%. Par ailleurs, le cold emailing, bien qu’encore largement utilisé, montre également des résultats décevants avec des taux d’ouverture moyens qui plafonnent autour de 20%, et un taux de réponse encore plus faible. Les prospects n’apprécient plus les sollicitations directes et intrusives ; ils privilégient désormais les échanges basés sur la valeur ajoutée et la pertinence. Face à cette réalité, les équipes marketing et commerciales doivent adopter des stratégies nouvelles.
Les clients attendent de la valeur avant qu’on leur parle produit, et une expérience personnalisée plutôt qu’un message standardisé. Pour capter leur attention, les entreprises doivent passer d’une logique de promotion à une logique d’éditorialisation. Elles ne vendent plus seulement un produit, mais une expertise, en résumé les entreprises doivent devenir un média, et les DSI ont un rôle à jouer dans cette transformation.
Comment le DSI peut-il contribuer à transformer l’entreprise en média ?
Dans un monde où l’attention est devenue un actif stratégique, les entreprises doivent penser comme des médias. Cela signifie produire régulièrement du contenu engageant, à forte valeur ajoutée, qui attire, fidélise, et influence leur audience cible au-delà de la simple promotion de leurs produits.
Pour illustrer cette idée, observons trois entreprises en hyper-croissance : Back Market, Daitaku et Alan. Toutes ont intégré un espace « média » sur leur site, que ce soit sous la forme d’un blog, d’un onglet « Ressources », ou même d’un espace éditorial baptisé Backstories (chez Back Market).
Dans ces sections, très peu de discours produit. À la place : des articles qui traitent des enjeux de leurs clients, de problématiques sociétales ou sectorielles, sans lien direct avec leurs offres.
➡️ Exemple marquant : Back Market publie un reportage sur une déchetterie électronique au Ghana. L’objectif ? Toucher une audience sensible à l’environnement, pas nécessairement cliente à l’origine, et la convertir progressivement.

Ces entreprises sont devenues des médias à part entière. Et cela nourrit leur croissance.
Mais qui dit média, dit information, et donc système d’information. C’est là que le DSI a un rôle clé à jouer dans cette transformation.
Quels leviers concrets pour le DSI pour avoir un impact sur la génération de leads ?
La DSI peut jouer un rôle stratégique auprès des directions Marketing et Ventes, notamment sur quatre enjeux clés.
1. Structurer et valoriser la connaissance interne
La création de contenu pertinent et de qualité repose sur les informations disponibles en interne : retours d’expérience, retours clients, données produits, etc.
👉 Le DSI doit jouer un rôle clé dans la mise en place de solutions de « Knowledge Management » permettant de centraliser et organiser cette connaissance. Cela passe par la cartographie des compétences et des savoirs faire permises par l’utilisation d’outils comme :
- Notion, Confluence : pour centraliser les informations
- Elium, Guru : pour diffuser la connaissance à l’échelle de l’entreprise
L’objectif est d’identifier et d’exploiter les ressources internes pour enrichir les contenus produits.
2. Fournir un environnement IA créatif pour accélérer la production de contenu
L’intelligence artificielle joue un rôle clé dans l’automatisation de la création de contenu, qu’il s’agisse de textes, d’images ou de vidéos.
👉 Le DSI peut mettre en place des plateformes IA pour favoriser la créativité et l’innovation au sein des équipes métiers. Des solutions comme :
- ChatGPT Enterprise, Jasper : pour générer des textes et articles
- Gamma.app, Runway : pour la création de visuels
- Synthesia, HeyGen : pour la création de vidéos avec avatars
Ces outils permettent aux équipes de gagner du temps tout en créant des contenus adaptés aux besoins de l’audience.
3. Mesurer et piloter l’impact du contenu
Il ne suffit pas de produire du contenu, il faut aussi savoir le mesurer pour optimiser son efficacité. Le DSI doit mettre en place des outils de data marketing pour suivre l’impact de chaque contenu créé. Cela inclut le suivi des performances : taux de clics, conversions, engagement, etc.
👉 Quelques solutions à intégrer :
- HubSpot, Google Analytics : pour le suivi des campagnes
- Looker Studio, Matomo : pour analyser les résultats en temps réel et ajuster les stratégies
L’objectif est d’avoir des indicateurs clés permettant d’adapter en continu la stratégie de contenu.
4. Automatisation des processus : synchronisation entre les outils et canaux
L’automatisation des tâches répétitives et des processus marketing est essentielle pour gagner en efficacité. Le DSI peut intervenir pour connecter les différents outils du SI, comme le CRM, le site web, les réseaux sociaux et les campagnes emailing.
👉 Des plateformes comme Zapier, Make ou Integromat permettent de créer des workflows automatisés qui relient différents systèmes :
- Envoi automatique de mails de relance après une certaine période
- Synchronisation entre les réseaux sociaux et les données CRM pour un suivi intégré
Cela optimise l’efficacité opérationnelle et permet de ne pas laisser de pistes chaudes sans suivi.
Pour réussir à mettre en œuvre ces leviers de manière performante, une certaine technicité est indispensable — or, les équipes marketing et commerciales ne disposent pas toujours de ces compétences en interne. C’est pourquoi le rôle de la DSI comme facilitateur auprès des directions Marketing et Ventes devient essentiel, encore faut il savoir prendre des risques.
Prendre plus de risques, la seule solution.
Dans l’interview qu’il nous avait accordée, le Directeur de Best Western ancien DSI, évoquait aussi un point essentiel : pour avoir un réel impact business, les DSI doivent accepter de prendre plus de risques.
Dans cette logique, nous allons aborder deux types de risques que le DSI doit apprendre à gérer s’il veut contribuer à la génération de chiffre d’affaires :
- Le risque cyber
- Le risque politique
1. Le risque cyber
Un DSI averti ne peut aujourd’hui ignorer les enjeux liés à l’adoption de l’intelligence artificielle : protection, qualité, souveraineté de la donnée, notamment dans un contexte de tension économique entre l’Europe et les États-Unis. Ces interrogations sont légitimes, et il serait même inquiétant de ne pas se les poser.
Face à ces préoccupations, de nombreux DSI adoptent une posture prudente, parfois défensive. Cela se traduit par une limitation drastique des outils d’IA générative, voire une interdiction totale, laissant uniquement des accès via des outils comme Copilot.
Mais cette prudence peut créer des tensions, notamment avec les fonctions marketing et commerciales qui, elles, ont besoin de vitesse, d’agilité, et d’expérimentation. C’est là que se trouve une réelle opportunité pour les DSI : dans ces domaines, la donnée manipulée (contenus de campagnes, messages clients, vidéos, etc.) n’est pas stratégique ou confidentielle. Il y a peu de risques de fuite de secrets industriels, de brevets ou de données sensibles.
C’est donc un terrain de jeu idéal pour implémenter des outils comme ChatGPT, ou des agents intelligents, sans trop de risques. Le DSI peut ainsi accompagner ces fonctions de manière proactive, en proposant des cadres sécurisés et adaptés à leurs besoins.
2. Le risque politique
Contribuer au chiffre d’affaires, c’est aussi s’exposer davantage. Les projets sont visibles, les résultats attendus rapidement, et les échecs peuvent coûter cher. Le DSI sort alors de son périmètre habituel pour aller sur un terrain plus politique.
Ce risque est double :
Risque de crédibilité en cas d’investissements sans résultats visibles.
Risque de positionnement dans des jeux de pouvoir internes, car d’autres directions souhaitent aussi s’approprier ces enjeux business.
Accepter ce rôle, c’est accepter de jouer le jeu politique. Cela demande de la finesse, de la diplomatie, et surtout une volonté assumée de prendre position.
En conclusion
Les opportunités sont nombreuses pour les DSI de se positionner sur les enjeux marketing et commerciaux. Pour être reconnus comme de véritables business partners, ils doivent démontrer leur capacité à générer du chiffre d’affaires et à soutenir la transformation de ces fonctions vers plus de valeur client.
Le marketing et les ventes ne doivent plus se limiter à promouvoir des produits, mais à créer des expériences utiles et différenciantes. Pour cela, il faut un socle technologique solide. Et la DSI est la mieux placée pour le construire.
Oui, cela implique de prendre des risques mais des risques maîtrisés, adaptés aux cas d’usage et au niveau de sensibilité des données. C’est à ce prix que le DSI pourra pleinement s’imposer comme un acteur clé de la stratégie de croissance.
Retrouvez également notre précedent podcast avec Olivier Cohn !

À propos de l'auteur

Ismail a une expérience de 15 ans dans le conseil IT et digital. Il a évolué pendant près de 7 ans chez Gartner. Il a accompagné des startups innovantes dans leur stratégie de croissance, mais aussi travaillé avec des DSI de grands groupes sur leur transformation digitale. En 2021, Ismail a créé Hubadviser pour permettre aux DSI de challenger leur vision avec des experts de haut niveau.