Introduction

Depuis deux ans, les acteurs du SaaS et du Cloud ont augmenté leurs prix. Les derniers chiffres sont sans appel : les prix des solutions SaaS ont bondi de 8,7 % en 2023 puis de 9,3 % en 2024. Microsoft a déjà appliqué une augmentation de 11 % en Europe, Salesforce a relevé ses prix de 9 % sur la partie Business Intelligence, et SAP continue de pousser ses offres packagées, rendant l’équation budgétaire des DSI de plus en plus complexe.
Dans cet environnement inflationniste, où les coûts salariaux et les investissements dans l’IA générative viennent alourdir la facture, il devient de plus en plus difficile pour les DSI de trouver un équilibre entre innovation, performance et maîtrise budgétaire. Trouver des solutions pragmatiques n’est plus un luxe, mais une absolue nécessité.
Pour apporter un éclairage concret sur ce défi, Hubadviser a eu le privilège d’inviter Guillaume Yvon, Chief Technology Officer de OP Mobility (anciennement Plastic Omnium), un équipementier automobile de rang mondial affichant plus de 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Fort de son expérience, Guillaume nous livre ses solutions de terrain pour naviguer dans cet univers incertain.
Découvrez les recommandations de Guillaume dans l’article ci-dessous.
 
Nous évoquerons les sujets suivants :
 
  • La relation fournisseur
  • La stratégie d’hébergement
  • La doctrine du SI

Vendor Management : Reprendre la main sur les fournisseurs

Face à la hausse systématique des prix des éditeurs, la première réponse doit être une gestion beaucoup plus rigoureuse du portefeuille fournisseurs. Guillaume Yvon insiste sur un principe fondamental : pour bien négocier, encore faut-il connaître parfaitement ce que l’on utilise.
 
Ainsi, il recommande de mettre en place un fichier de référence répertoriant l’ensemble des logiciels et des SaaS utilisés dans l’entreprise, en y incluant non seulement la date de renouvellement de chaque licence, mais surtout la date de clôture fiscale de l’éditeur concerné. Car c’est souvent à l’approche de cette date que les éditeurs sont les plus enclins à accorder des conditions commerciales avantageuses. Négocier en anticipant de plusieurs mois permet donc de réaliser des économies substantielles.
Autre évolution majeure : la négociation commerciale ne doit plus être portée directement par les équipes techniques. Guillaume Yvon a mis en place une gouvernance où les rôles sont clairement séparés. Le besoin est exprimé par l’IT, mais la négociation est menée par les achats et encadrée par les juristes. Un modèle de plus en plus utilisé par les grands éditeurs eux-mêmes : Microsoft, par exemple, a créé une fonction de « Dealmakers », des experts de la négociation commerciale dédiés aux gros contrats, de ce fait la négociation n’incombe plus aux responsables commerciaux.
 
Sur les contrats stratégiques, il devient également pertinent de se faire accompagner par des cabinets spécialisés en Vendor Management. Ceux-ci disposent de l’expertise et des données de marché permettant d’obtenir les meilleures conditions, souvent avec un modèle de rémunération indexé sur les économies réalisées.

Stratégie d'hébergement : Construire une hybridation intelligente

L’augmentation des coûts du Cloud pourrait inciter certains à prôner un retour massif vers l’On-Premise. Ce serait une vision réductrice selon Guillaume Yvon, l’équilibre doit être trouvé à travers une stratégie d’hybridation maîtrisée.
 
Le Cloud conserve une valeur essentielle pour les projets naissants, les initiatives innovantes, ou toutes les situations où l’évolution du besoin reste imprévisible. Dans ces cas, sa souplesse et sa capacité à absorber l’incertitude demeurent incomparables.
Cependant, sur des applications à usage stable, l’avantage du Cloud s’effrite rapidement. Guillaume observe qu’après trois ans d’exploitation, une application restée dans le Cloud revient systématiquement plus cher qu’un hébergement On-Premise. La capacité à prévoir la consommation devient donc un critère d’arbitrage clé.
 
Trois facteurs guident le choix :
 
  • la prédictabilité des usages
  • la criticité des données
  • les exigences de latence.
 
Lorsqu’une application est critique ou nécessite une très faible latence, l’On-Premise reste préférable. Cette stratégie nécessite cependant de renforcer les compétences locales en infrastructures, pour opérer des environnements hybrides complexes.

Doctrine SI : Réinternalisation des talents et plateformisation

Face à l’explosion des coûts du SaaS, une nouvelle doctrine SI s’impose. Elle repose sur trois piliers : la réinternalisation ciblée des talents, la rationalisation du portefeuille applicatif et l’éducation des métiers.
 
Sur les applicatifs cœur métier, Guillaume Yvon recommande de réinternaliser le développement. Il ne s’agit pas seulement de se différencier, mais aussi d’assurer la maîtrise économique. Lorsqu’une application est indispensable à l’activité, l’entreprise ne peut se permettre de subir des augmentations tarifaires imposées par un éditeur.
 
En parallèle, l’approche Best of Breed, qui consistait à sélectionner la meilleure solution pour chaque besoin, doit être réinterrogée. Guillaume Yvon, longtemps adepte de cette philosophie, constate aujourd’hui ses limites : multiplication des coûts, sous-utilisation chronique des fonctionnalités, complexité de l’intégration.
 
Désormais, il prône une approche de plateformisation raisonnée. Il s’agit de s’appuyer sur quelques éditeurs stratégiques, de connaître leur roadmap produit et de maximiser l’usage des fonctionnalités déjà disponibles, afin d’éviter les doublons et de maîtriser les investissements. Cette doctrine conduit à une rationalisation naturelle du nombre de fournisseurs de l’entreprise. En résumé, on tend à s’appuyer sur un nombre limité d’acteurs que l’on doit connaître parfaitement du point de vue fonctionnel et commercial.
 

Enfin, et c’est peut-être le point le plus crucial, Guillaume, comme de nombreux experts que nous avons récemment rencontrés, insiste sur la nécessité d’éduquer les métiers : il faut sortir de la logique d’ultra-personnalisation.

Aujourd’hui, il n’est plus question d’ajouter un bouton en haut à gauche simplement parce qu’un responsable métier l’a demandé. Il faut aller vers des modèles standardisés, qui couvrent 70 à 80 % des besoins. Ce n’est pas parfait, mais c’est suffisant. Il faut accepter cette imperfection, car la standardisation est ce qui permet le changement.

Dans un contexte de transformation permanente et d’incertitude, ce qu’il faut privilégier, c’est l’agilité et non la satisfaction maximale de chaque demande.

Mais cette transformation culturelle ne concerne pas uniquement les métiers. Elle doit aussi s’opérer au sein même de la DSI. Beaucoup de collaborateurs IT ont naturellement envie de bien faire, de répondre aux demandes en livrant des solutions sur mesure, très personnalisées, presque parfaites. Pourtant, leur rôle a évolué.

Ils doivent aujourd’hui se positionner davantage comme des intégrateurs, avec une posture d’architecte, capables de penser l’évolution des applications dans le temps, plutôt que de créer des solutions spécifiques, optimales sur le papier mais trop rigides ou difficiles à maintenir.

C’est un changement de posture profond, que le DSI doit porter avec le soutien de la direction générale ou, à défaut, de la direction financière.

C’est aussi une condition clé pour garder la maîtrise des coûts du SaaS : car plus on personnalise, plus on développe du spécifique, plus on génère de dette technique… et plus les coûts explosent. Ce cercle vicieux, il faut à tout prix l’éviter.

Conclusion : Construire une IT sobre, souveraine et résiliente

L’époque de la consommation débridée de SaaS touche à sa fin. Face à l’inflation des coûts, à la concentration des éditeurs et à l’accélération technologique, les DSI doivent repenser leur stratégie.
 
Structurer le Vendor Management, construire une véritable hybridation, réinternaliser les compétences clés et adopter une doctrine de plateformisation sont les fondations d’une IT moderne, sobre et souveraine.
 
Comme dans l’industrie automobile où OP Mobility évolue, l’optimisation des coûts n’est pas un luxe, mais une condition de survie et de leadership durable.

À propos de l'auteur

Ismail a une expérience de 15 ans dans le conseil IT et digital. Il a évolué pendant près de 7 ans chez Gartner. Il a accompagné des startups innovantes dans leur stratégie de croissance, mais aussi travaillé avec des DSI de grands groupes sur leur transformation digitale. En 2021, Ismail a créé Hubadviser pour permettre aux DSI de challenger leur vision avec des experts de haut niveau.

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