Dans un monde où les technologies évoluent à grande vitesse, la Direction des Systèmes d’Information (DSI) doit se repenser pour mieux accompagner la stratégie de l’entreprise. Aujourd’hui, nous accueillons Sébastien pour échanger sur les enjeux, les défis et les bonnes pratiques qui permettent à une DSI de se transformer efficacement. Commençons sans plus attendre!

À propos de Sébastien Louyot

DSI de Altavia

Sébastien Louyot a plus de 25 ans d’expérience dans l’IT, avec un parcours marqué par des rôles de CTO et de DSI. Il a joué un rôle clé dans la mise en place de la direction des systèmes d’information de Doctolib, avant de rejoindre Altavia, une ETI française, pour accompagner sa transformation digitale. Son expertise couvre l’architecture des SI, l’innovation technologique et la mise en place de stratégies numériques au service de la croissance des entreprises.

Introduction

Ismaïl : Sébastien, peux-tu te présenter ?

Sébastien : Bonjour Ismaïl, bonjour à tous ! Merci pour cette opportunité et ce moment de partage.

Mon parcours se découpe en trois grandes étapes :

  • Première étape : j’ai commencé dans les infrastructures technologiques, principalement dans le monde des télécoms, à la fin des années 90, en pleine explosion d’Internet.
  • Deuxième étape : j’ai ensuite créé plusieurs entreprises : un opérateur télécom puis une société de services dans l’IT.
  • Troisième étape : depuis une douzaine d’années, j’opère comme DSI. J’ai d’abord été consultant indépendant (interim CIO, part-time CIO) avant de rejoindre Doctolib en 2019, en pleine phase d’hypercroissance, notamment durant la crise du Covid.

Aujourd’hui, je suis DSI d’Altavia, un groupe spécialisé dans la conception et l’opérationnalisation de campagnes marketing pour le secteur du retail, où j’évolue depuis près d’un an et demi.

Pourquoi transformer la DSI ?

Ismaïl : Tu as mené des projets de transformation de ta DSI ambitieux chez Doctolib, et actuellement chez Altavia. La première question est simple : pourquoi ? Qu’est-ce qui t’a poussé à changer les choses dans ton organisation ?

Sébastien : Avant tout, on ne transforme pas une DSI pour le plaisir : on la transforme parce que la stratégie de l’entreprise l’impose. Autrement dit, si la DSI n’arrive pas à accompagner les objectifs de la société sur les trois à cinq prochaines années, il faut passer à l’action.

Chez Doctolib, par exemple, l’équipe IT comptait à peine une douzaine de personnes pour 800 collaborateurs. On anticipait déjà une forte croissance, mais le COVID est arrivé et a fait exploser nos besoins : plus de postes à équiper, davantage de résilience à mettre en place, des performances opérationnelles à optimiser… Il a fallu passer d’une équipe de support local à une vraie DSI capable de soutenir cet hyper-développement.

Chez Altavia, le contexte est différent, mais les enjeux sont similaires. L’organisation est plus ancienne, avec un héritage technologique important : beaucoup d’applications “maison” qui ne correspondent plus à la nouvelle vision du groupe. Altavia veut se réinventer et faire évoluer son modèle, mais les systèmes d’information ne sont pas à jour. On doit donc moderniser l’infrastructure, la data, la cybersécurité et les applicatifs, tout en repensant l’équipe pour acquérir les compétences nécessaires. Là encore, tout part d’un besoin stratégique précis et d’une volonté d’accompagner la transformation de l’entreprise.

Adapter sa posture de DSI

Ismaïl : Est-ce que cela signifie que tu n’es pas le même DSI chez Doctolib et chez Altavia, alors que tu es pourtant la même personne ?

Sébastien : On pourrait parler de « schizophrénie », mais en réalité, je ne suis pas le même DSI d’une entreprise à l’autre. Je conserve mes valeurs clés – la collaboration, l’agilité, l’esprit « doer » – mais je dois adapter ma posture.

Chez Doctolib, on évoluait dans un univers très technologique, déjà tourné vers la performance et l’hypercroissance. C’était plus naturel de monter en puissance rapidement.

Chez Altavia, il y a un fort héritage IT (legacy) et un mix de collaborateurs : certains sont présents depuis longtemps, d’autres viennent d’arriver. Il faut accepter que la transformation prenne plus de temps et soit parfois plus complexe, parce que tout n’a pas été pensé pour le numérique dès le départ. Ici, l’enjeu n’est pas seulement de « moderniser » la DSI, mais aussi de faire un vrai travail de conduite du changement pour embarquer tout le monde à la même vitesse.

Une transformation liée aux besoins de l’entreprise

Ismaïl : En fait, tu as décidé de transformer ta DSI parce que la société dans laquelle tu évolues se transforme elle-même, c’est bien ça ?

Sébastien : Exactement. Dès qu’il y a un mouvement stratégique fort dans l’entreprise, la DSI doit s’adapter. Si la société ne connaît pas de mutation profonde, il n’y a pas vraiment de “raison” de transformer la DSI. Comme on l’a dit, on ne transforme pas pour le plaisir : on le fait parce que l’entreprise a besoin de nouvelles capacités informatiques dans trois ans, et c’est au DSI de les construire dès maintenant. Si la transformation est uniquement initiée par l’IT, sans tenir compte de l’évolution du business, elle risque de rester hors-sol et de ne pas répondre aux véritables enjeux de l’organisation.

Comment transformer ?

Ismaïl : Merci Sébastien. Après avoir expliqué le « pourquoi » transformer sa DSI, peux-tu nous expliquer le « comment » ? Très souvent, on commence par un simple changement d’organigramme, mais on ne touche pas vraiment au fonctionnement de la DSI. Comment vois-tu les choses ?

Sébastien : Ce n’est pas qu’une question d’organigramme. Bien sûr, on doit parfois ajuster la structure et recruter de nouveaux talents, mais la transformation doit être globale, à 360°.

  • Organisation & Équipe Il faut avant tout se demander : « Quelle est l’organisation dont on a besoin pour soutenir la stratégie de l’entreprise ? » Parfois, on trouve déjà dans l’équipe des collaborateurs capables de monter en compétence ; parfois non, et il faut alors recruter à l’externe. L’objectif reste de construire l’équipe la plus adaptée, avec le bon ratio entre coordinateurs et opérationnels.
  • Culture & Mode de Travail : La culture est un pilier majeur de la transformation. On ne se contente pas de changer les gens ; on fait évoluer les pratiques et les mentalités. Par exemple, j’attends de mes équipes qu’elles soient responsables de A à Z sur leurs sujets, qu’elles prennent des initiatives et qu’elles alertent si ça bloque. Pour ça, le DSI doit incarner ces valeurs, montrer l’exemple et encourager les comportements qui font avancer.
  • Méthodologie & Technologies : Les méthodes de travail (collaboration, reporting, agilité, etc.) et les briques technologiques choisies jouent un rôle critique. Il faut être clair sur la roadmap et sur la façon d’implémenter chaque évolution. Je préfère une transformation itérative à un Big Bang, pour ne pas déstabiliser les équipes et permettre un vrai apprentissage au fur et à mesure.

En résumé, la transformation de la DSI ne se limite pas à un organigramme ou à des recrutements : c’est un changement global, qui touche autant la structure que la culture et les modes de fonctionnement.

L’importance de la culture et du management

Ismaïl : Tu insistes beaucoup sur la culture, les valeurs et la dimension humaine. Peux-tu nous dire quelle place tu accordes au management dans ton rôle de DSI ? Et est-ce que tu t’es formé sur ces questions ?

Sébastien : C’est une excellente question. À mon sens, il y a d’abord une part d’inné, liée à la personnalité : j’ai toujours été plus attiré par la « big picture » et le travail d’équipe que par l’expertise technique pure. Mon plaisir, c’est de garder une vision globale et de faire grandir le collectif, pas de plonger à 100 % dans la partie technique.

Ensuite, ça s’apprend et ça se développe. J’ai eu la chance de travailler avec des leaders extraordinaires et j’ai beaucoup observé leur façon de faire. Je lis énormément : des livres, des articles, je regarde des vidéos, j’assiste à des conférences… tout ce qui peut nourrir ma réflexion sur le management.

J’aime aussi l’analogie avec le sport : le DSI est comme un coach d’équipe. Il doit repérer les talents, gérer les moments de fatigue, placer les bons profils au bon poste (back office, front office), etc. Cette approche est hyperadaptée au monde de l’entreprise et je trouve ça particulièrement inspirant.

Évaluer la maturité de la DSI

Ismaïl : Comment mesures-tu la maturité d’une DSI avant de vouloir la transformer ?

Sébastien : C’est une question complexe, et je n’ai pas de réponse « toute faite ». Pour autant, il y a quelques approches que je privilégie :

  • Interviews & Écoute : Je commence par rencontrer les équipes de la DSI (IT) mais aussi celles du métier (business partners, AMOA, Product Owners…) afin de comprendre leurs points de douleur et leurs attentes. Ces retours de terrain sont très précieux.
  • Vision & Stratégie : J’échange également avec la direction générale et les membres du COMEX pour saisir leurs priorités et leurs ambitions stratégiques. Avoir ce niveau d’information aide à filtrer et prioriser les sujets IT en cohérence avec la stratégie de l’entreprise.
  • Diagnostic partagé : En croisant ces deux types d’informations (terrain et direction), on obtient une vision plus claire : quels sont les principaux « pain points », les urgences, les enjeux de croissance ? C’est de là que se dégage la « maturité » de la DSI, notamment sur des sujets comme la data, l’infrastructure ou la gouvernance.

En somme, mesurer la maturité, c’est avant tout écouter l’ensemble des parties prenantes pour comprendre leur perception et leurs besoins, puis établir un diagnostic commun qui va orienter les priorités de transformation.

Le ratio DSI vs nombre de salariés

Ismaïl : Disposez-vous d’un ratio type entre le nombre de collaborateurs DSI et le nombre de salariés dans l’entreprise ?

Sébastien : Pas vraiment. On trouve des benchmarks qui tournent autour de 3 à 4 % du total des salariés (en comptant nombre de collaborateurs et budget DSI), mais ça dépend beaucoup de la définition qu’on donne au périmètre de la DSI.

  • Chez Doctolib, par exemple, il y avait une équipe de 700 personnes qui géraient la plateforme – mais ce n’était pas la DSI, c’était la partie “produit tech”.
  • Chez Altavia, on a aussi des équipes techniques qui développent des solutions pour nos clients, mais elles ne font pas partie de la DSI “classique”.

Donc, tout dépend de l’activité et de l’organisation de l’entreprise. Si on se limite strictement aux fonctions “régaliennes” de la DSI, un ratio de 3-4 % sert de repère, mais ça reste très variable.

Ratio interne vs externe

Ismaïl : Et pilotes-tu le ratio entre ressources internes et externes ?

Sébastien : C’est toujours un équilibre à ajuster selon la situation. Quand je suis arrivé chez Altavia, il y avait une petite équipe interne, pas assez de compétences disponibles, et des projets d’envergure (SAP, CRM, etc.). On a donc fait le choix de monter jusqu’à 70 % d’externes pour avancer rapidement avec des profils seniors et expérimentés.

J’ai présenté cette stratégie à ma direction pour expliquer la nécessité de faire grimper temporairement le budget « prestation externe ». Ils ont validé, car cela s’inscrivait dans un plan plus large : l’objectif était de lancer ces projets critiques rapidement, puis de réinternaliser progressivement les compétences afin de capitaliser sur la connaissance et la stabilité à long terme.

La DSI, ce n’est pas que le DSI…

Ismaïl : La DSI, ce n’est pas uniquement le DSI… Sur qui t’appuies-tu pour piloter la transformation ?

Sébastien : En tant que DSI, on ne peut pas porter tous les messages ni être constamment derrière chaque collaborateur. Au départ, c’est important de poser les premières briques soi-même, de piloter la mise en place d’une gouvernance et d’une méthodologie. Mais très vite, il faut déléguer à une équipe interne.

Sur mes deux dernières expériences, j’ai eu deux approches différentes :

  • Chez Doctolib, j’avais une petite équipe très axée « stratégie IT » et « gestion de grands projets ». On l’appelait de façon informelle le « CIO Office ». Elle gérait la roadmap, les rituels, le reporting, etc.
  • Chez Altavia, je m’appuie davantage sur l’équipe d’architecture, qui a aussi une forte culture projet et peut animer toute la gouvernance transverse.

Peu importe la fonction (architecture, PMO, etc.), l’essentiel est de disposer d’un profil qui aime et maîtrise la gestion de projet, l’animation des équipes et le pilotage méthodologique. Cette personne devient en quelque sorte la « cheville ouvrière » de la transformation, garantissant la cohérence et la continuité de l’ensemble.

Le « drive » business du DSI

Ismaïl : Je comprends que toi, tu as un vrai « drive » business dans ta vision de la DSI. Tu insistes beaucoup sur l’alignement avec le métier, mais parfois, la rupture peut venir de la technologie (comme l’IA). Comment accueilles-tu ces ruptures ?

Sébastien : Aujourd’hui, un DSI ne peut plus se permettre de se cantonner à une approche purement technologique. On ne fait pas de l’IT pour l’IT ; on fait de l’IT pour créer de la valeur pour l’entreprise et soutenir sa stratégie. Cela veut dire qu’il faut savoir écouter les métiers, comprendre leurs besoins et placer la technologie au service d’enjeux concrets, tout en gardant une longueur d’avance sur ce qui peut améliorer la performance ou la compétitivité de l’organisation.

Les ressources à disposition (budget, équipes, prestataires) sont des moyens : le débat doit rester centré sur la valeur business produite. La technologie agit alors comme un levier d’accélération. Dans ce cadre, on doit s’assurer d’avoir des fondations solides et cohérentes, qu’il s’agisse du cloud, de la sécurité, de la digital workplace ou des méthodes de travail pour que l’innovation vienne s’y greffer sans saper l’ensemble.

La question des ruptures technologiques, comme l’IA, s’inscrit naturellement dans cette dynamique. On ne peut pas les ignorer parce qu’elles peuvent apporter un avantage compétitif significatif. En même temps, il faut avoir une stratégie claire et des « règles du jeu » bien établies pour intégrer ces nouvelles briques avec cohérence. Par exemple, si l’on choisit de migrer sur le cloud, il est essentiel de le faire en embrassant pleinement les possibilités d’automatisation et de consommation à la demande, et non pas en se contentant d’un « lift-and-shift » qui revient à déplacer ses serveurs en l’état.

Par ailleurs, on ne doit pas oublier la question de la priorité entre la refonte des fondations et les projets rapidement générateurs de valeur. Il faut trouver un équilibre : mener simultanément le travail de modernisation technique (pour qu’il ne devienne pas un frein à terme) tout en continuant à livrer des fonctionnalités ou des solutions qui répondent à des besoins métiers immédiats. Ainsi, l’entreprise voit vite l’apport concret de l’IT, ce qui nourrit la confiance dans la transformation.

Enfin, pour que cette vision demeure cohérente, je m’appuie beaucoup sur une vraie architecture d’entreprise. C’est elle qui formalise la logique d’ensemble : quelles briques adopter, comment les faire communiquer, quels standards respecter, etc. Sans ce rôle d’architecte, on risque de se disperser et de multiplier les technologies ou les approches contradictoires, ce qui au final complique la transformation et ralentit la capacité d’innover. L’architecture agit comme un ciment entre la vision business et la réalité opérationnelle, et c’est particulièrement crucial quand on envisage d’introduire une rupture technologique telle que l’IA ou tout autre levier d’innovation important.

Le support : toujours le nerf de la guerre ?

Ismaïl : On parle de transformation, d’IA, de business… mais qu’en est-il du support ? Reste-t-il le nerf de la guerre ?

Sébastien : Absolument. Beaucoup de DSI sont tellement absorbées par les projets stratégiques (implémentation d’IA, refonte d’ERP, etc.) qu’elles en oublient parfois l’expérience utilisateur au quotidien. Pourtant, c’est souvent la première chose que les collaborateurs perçoivent : si le Wi-Fi en salle de réunion ne fonctionne pas ou si la visioconférence coupe en pleine discussion, l’image de la DSI en pâtit immédiatement.

J’aime l’expression d’un ancien patron qui disait que ces sujets doivent « faire zéro bruit » : ils doivent tout simplement marcher. C’est comme démarrer sa voiture le matin : on n’y pense pas si elle est fiable et opérationnelle. De la même manière, un support de qualité est une attente légitime dans toutes les entreprises, petites ou grandes.

Pour vous donner quelques métriques, chez Doctolib, on mettait le paquet là-dessus parce que l’expérience collaborateur, la capacité à attirer et à garder les meilleurs était extrêmement importante. On a investi énormément et on avait un ratio extrêmement élevé, puisqu’on avait 1 ETP support pour 150 collaborateurs, ce qui est plutôt extrêmement qualitatif. Cet investissement se justifiait parce que la moindre perte de productivité pouvait avoir un fort impact sur la dynamique et la croissance de l’entreprise.

De mon côté, je surveille toujours le ratio entre le nombre de collaborateurs dans l’entreprise et le nombre de personnes dédiées au support. C’est un indicateur qui permet d’éviter de se faire dépasser par l’augmentation des effectifs et de maintenir une qualité de service irréprochable. Après tout, si la DSI veut être crédible dans ses grands projets de transformation, elle doit d’abord exceller sur les fondamentaux.

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